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Photo du rédacteurBob Solo

Le seigneur des arbres.



Depuis au moins deux décennies, je relis chaque année les presque deux mille pages de la trilogie de J. R. R. Tolkien, “Le seigneur des Anneaux”. C'est toujours un vrai plaisir de s'y replonger. Outre le souffle épique, la magie, les chansons, les poèmes, les légendes, les prophéties, les épopées héroïques, les créatures fantastiques, toute la mythologie créée, les divers peuples inventés et diverses langues et cultures forgées, ce conte enchanté est au fond un long manifeste écologique. La nature y est omniprésente, vivante, magique, sublimée. Menacée par les uns, protégée par d'autres.


Les arbres ont une place de premier plan tout au long du récit : l'arbre des fêtes de La Comté, le Vieil-Homme saule de Bombadil, les mallornes de la Lorien, ces arbres géants abritant une cité entière, l'Arbre Blanc du Gondor, symbole de la royauté, et dans la forêt de Fangorn, les arbres parlent et se déplacent, surveillés par les Ents, êtres “arbresques” gardiens des forêts, qui déplorent que “plus personne ne se soucie des arbres à présent”.



Les aigles géants eux aussi conversent avec les humains et les autres “races” ; c'est une plante sauvage qui guérit le mortel “souffle noir” ; la rivière Nimrodel, au cœur du pays elfique, a sa voix et son propre chant ; un des cinq magiciens est avant tout "l'ami des oiseaux et des bêtes de la forêt" ; et les “hobbits”, ces campagnards solides et joviaux, excellents jardiniers, ont un amour pour "les chose qui poussent", vivent “une amitié intime avec la terre” et savent jouir de ses bienfaits en toute simplicité.


Montagnes bleues, blanches ou brumeuses, cavernes gigantesques scintillantes ou ténébreuses, fleuves et rivières, chutes d'eau vertigineuses, dédales de rochers "coupants comme des rasoirs", marais infranchissables, terres sauvages, forêts mystérieuses, lacs et bois sacrés, sources magiques, prairies immenses, tout cela est à l'honneur, autant que les tours imprenables, les faits d'armes et les forteresses millénaires.



Bien que son auteur s'en défende, on peut facilement y voir une allégorie du monde moderne. On la jugera peut-être manichéenne, les camps du “bien” et du “mal” étant très clairement délimités, mais elle est surtout symbolique. Les protagonistes se trouvant du côté du “pouvoir ténébreux" consomment la nature comme une ressource propre à servir leurs noirs desseins, sans autre considération, ou pire la polluent et la détruisent systématiquement et gratuitement ; les autres vivent en bonne intelligence avec elle, soucieux d'équilibre et de paix, la protègent ou même, comme le peuple des Elfes, la magnifient en partageant avec elle les dons qu'ils ont reçus et la guérissent autant qu'ils le peuvent des souillures qui lui sont infligées.


Écrit il y aura bientôt un siècle, ce texte contient des phrases quasiment prophétiques, telles que, dans la version française : “L'ancien monde brûlera dans les flammes de l'industrie.” Dixit Saroumane, le mage corrompu qui se rêve en tyran absolu et dont il est dit qu'il a “un esprit de rouages et de métal”. Pour réaliser ses ambitions, il n'hésite pas à détourner un cours d'eau, à raser un forêt entière. Quant à ce fameux Seigneur des Anneaux, esprit puissant et malfaisant, son territoire est nommé "le pays noir". Plus rien n'y pousse hormis des buissons épineux et des fleurs mortelles entre les amas de roches calcinées, et l'air qu'on y respire n'est que vapeur empoisonnée.


C'est en s'unissant autour d'une cause commune contre un ennemi commun, malgré leurs différences de culture, de croyance, de langage et d'intérêt, que “les personnes de bonne volonté” qui peuplent cet univers étrange, cette Terre du Milieu, parviennent, avant “le brisement du monde”, à vaincre les forces obscures qui menacent tout le vivant. Même si pour les "anciennes parentés", cette victoire signe leur disparition. Car avec elle, vient le temps de la domination des Hommes. Pour le pire et le meilleur ? "A cela, même les Elfes n'ont pas la réponse".




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